
Premier roman de Meryem Belkaïd, Écris et je viendrai explore avec subtilité les ravages des années 1990 en Algérie, à travers l’amour entravé de Leila et Ali, et les traumatismes d’un pays en guerre.
« Qu’était-il arrivé à leur pays pour qu’ils se rêvent autres ? ». Cette réflexion d’un des deux principaux personnages de Écris et je viendrai de Meryem Belkaïd est l’une des clés de ce roman dont la trame se déroule dans les années 90 alors que l’Algérie plonge dans cette décennie, que certains voient noire, que d’autres voient rouge sang, et qui s’avère finalement bien vaine.
Une décennie d’un élan brisé — qu’on n’arrive plus à faire renaître, comme cet amour profond entre Leila et Ali, qui dure depuis l’adolescence, perdure, mais ne trouve pas de couronnement, ne parvient pas à libérer le potentiel de bonheur qu’il renferme ; comme si la joie était prise en otage, rendue impossible par une bifurcation de l’histoire du pays sur laquelle le plus grand nombre de femmes et d’hommes n’ont pas de prise, mais qui les rend néanmoins captifs d’un étrange sentiment de culpabilité.
Pour ceux qui ont traversé les années 90 l’esprit plein de sidération face à un basculement du pays dans une guerre intérieure — survenue après les flammes d’octobre 1988 et un printemps algérien de courte durée mais plein d’espoirs — ce roman décrit avec pudeur, sans le pathos et sans cet insupportable exotisme auxquels semblent être assignés les écrivains maghrébins en langue française, la fin d’une vision idyllique d’une Algérie marchant résolument dans le sens du progrès. Meryem Belkaïd montre comment une histoire qui bifurque dans la violence happe les individus et les meurtrit au point de créer une multitude de vocations pour l’exil. Comme si l’on ne pouvait plus supporter de ne pas avoir pu empêcher ces supplices infligés à un pays plein de promesses.
Un traumatisme et un silence amnésique
Pour Ali, le héros du roman, ce moment où l’horizon s’obscurcit et le futur se brouille est celui de l’assassinat de son père, psychiatre engagé, le mardi 8 juin 1993, par « deux ombres. Habillées à la dernière mode. À peine plus âgé que lui… ». La vie de Leila bascule aussi ce même jour à l’annonce de cet assassinat survenu un de ces funestes mardis où des intellectuels et artistes connus ont été ciblés. Une adolescence qui s’arrête, un amour naissant qui peine à trouver ses mots et un pays qui se fige. Et aussi, et surtout, la difficulté pour les femmes et les hommes de se relever d’un traumatisme aussi bien national que familial et individuel pour se reconstituer et avancer. Un traumatisme monumental soldé dans un silence amnésique, sans leçon tirée pour la collectivité, sans leçon pour l’avenir, avec la peur paralysante d’y retomber.
Il n’y a, pour l’heure du moins, que des ébauches de leçons individuelles pour contrer la chape du silence. Le couple Ali et Leila ne sera pas, ne se fera pas. Il reste des sentiments et il n’y aura pas d’acrimonie. Reste le poids de ces années terribles à verbaliser, à rendre lisibles. Pour Leila, l’exil, lointain et sans Ali, s’accompagne d’un travail sur l’histoire et la place, minorée ou instrumentalisée, des intellectuels en Algérie et bien avant le traumatisme des années 90. Après des années d’errance à l’étranger, Ali construit un projet de fondation au nom de son père, comme une tentative de garder le souvenir d’un homme, l’intellectuel en contact avec les gens, par sa profession, mais aussi par un choix moral.
C’est dans ces quêtes individuelles que les individus se cherchent une « esquisse de bonheur », en attendant, peut-être, une issue collective, et dont on a eu l’ébauche lumineuse dans le Hirak où beaucoup d’Algériens ont renoué avec l’estime de soi… Et l’on imagine, sans peine, Ali et Leila parmi les marcheurs pour une Algérie s’humanisant et cessant d’être si dure avec elle-même.

Écris et je viendrais
Meryem Belkaïd
Éditions Casbah, 2024
172 pages
1 000 DA