Avez-vous pris votre abonnement 2024 ? Non ! CLIQUEZ ICI !
Ou alors participez avec un DON


Découvrez des pages au hasard de l’Encyclo ou de Docu PN
A compter du 25 mai 2018, les instructions européennes sur la vie privée et le caractère personnel de vos données s’appliquent. En savoir +..

Souvenirs de Lycéens

, par  FERNON Jean-Paul , popularité : 7%
Cet article provient d'une source externe à NJ sans autorisation mais à titre d'information.

Nostalgiques, tour à tour amusants, émouvants, parfois impertinents à l’égard de certains professeurs, (mais jamais méchants - car nous les aimions tous et nous leur sommes reconnaissants d’avoir fait de nous ce que nous sommes aujourd’hui), voici quelques souvenirs de lycéens de toutes les époques.

(Les sanguines représentant le Lycée ont été réalisées par Jean-Paul Victory)

LE CHEMIN DU LYCÉE

Quatre ans. Pendant quatre ans, j’ai fait quatorze kilomètres par jour : trois kilomètres et demi, quatre fois par jour. Trois kilomètres et demi, c’est la distance qui séparait la maison du lycée. La maison était au 29 boulevard Hippolyte Giraud et le lycée, c’était le lycée Lamoricière. La moitié de la distance était un plaisir, tout en descente. L’autre moitié, par contre, correspondait au retour, c’est-à-dire que des montées.

Le matin, je partais de la maison aux alentours de 7h15, j’empruntais le boulevard Hippolyte Giraud jusqu’à la rue Sidi-Ferruch puis la gare et le boulevard Marceau, puis je traversais la rue de Mostaganem pour prendre la rue Lamoricière qui m’amenait à la rue El-Moungar et à l’entrée du lycée. Boulevard Marceau, je récupérais deux ou trois copains. En arrivant en haut de la rue Lamoricière qui, à cet endroit, est très pentue et à sens unique, nous nous prenions souvent par la main, et gueulant comme des " tordus ", nous décollions comme des fous levant bien les pieds pour ne pas nous casser la figure. Ce qui n’a pas empêché plusieurs d’entre nous, dont moi, de nous étaler comme des galettes et de se retrouver bien " couronnés " aux genoux ! Nous parcourions ainsi en quelques secondes une bonne moitié de la rue Lamoricière juste un peu avant d’atteindre la rue Général Leclerc. Le matin, après la traversée de la rue Lamoricière, celle-ci devenait un capharnaüm indescriptible car le marché de la rue de la Bastille était en train d’ouvrir. Tout n’était que sons et odeurs. Les cris des marchands et livreurs, les pétarades des moteurs, les engueulades des chauffeurs…, le tout survolé par des nuages d’odeurs des plus écœurantes (viandes fraîches et abondantes) aux plus agréables (étals de fleurs). Nous essayions de repérer le livreur de fruits et légumes, ou celui des primeurs et des agrumes. On se séparait, pour se retrouver près de la rue Alsace-Lorraine et partager les fruits qu’on avait piqués.

Le lycée était au bout de la rue El Moungar. La descente de l’après-midi, vers 13h30, était moins drôle, peut-être du fait que nos estomacs bien remplis nous empêchaient de nous lancer dans une course effrénée.

Mais si des quatorze kilomètres, sept étaient plus ou moins amusants, les sept autres n’étaient pas drôles du tout ! La remontée de midi était dure. D’abord parce que j’étais mort de faim, mais également parce que les trois kilomètres et demi que je parcourais (quelquefois sous la pluie ou parfois sous un soleil bien mordant) n’étaient que des côtes. Pour la faim il y avait deux possibilités : au coin de la rue Alsace-Lorraine et la rue Lamoricière se trouvait la pâtisserie de Vincent Pujalte, qui était un très bon ami de mon père. Les deux compères formaient une paire imbattable à la pelote basque et ils étaient d’ailleurs champions de l’Oranaise. Si, par hasard, Vincent était devant sa pâtisserie, j’avais de bonnes chances de pouvoir dévorer une religieuse ou un baba, cadeau du pâtissier. La deuxième possibilité, c’était la calentica de la rue de la Bastille. Si j’avais pu piquer quelques piécettes à ma mère ou à ma grand-mère, je m’offrais mon sandwich préféré. Pour une pièce de 100 frs, j’avais un beau morceau de baguette enfermant une énorme portion de calentica brûlante, parfumée et très bien épicée. Avec ça, j’attaquais la remontée, souvent en solitaire car, ne voulant pas partager mes trésors, je me séparais de mes compagnons. Pour ne pas trop souffrir et oublier le poids de mon cartable, je me retrouvais dans la peau de d’Artagnan, Kit Karson, Buck John... éliminant tous mes ennemis. Les passants devaient bien rire de voir cette longue asperge en pantalon court gesticulant dans toutes les directions, avec pour seule protection son bouclier en forme de cartable !

La deuxième montée était la pire. Il était aux alentours de 16h30, j’avais une journée de travail derrière moi et je devais encore endurer trois kilomètres et demi pour rentrer à la maison.

Vincent Pujalte n’était plus dans sa pâtisserie et le vendeur de calentica avait fermé sa carriole. Je traînais mon cartable et ma fatigue jusqu’à la maison.

Quatorze kilomètres par jour durant quatre jours complets et la demi-journée de samedi. Cela faisait soixante-trois kilomètres par semaine : à la fin de chaque année scolaire, j’avais parcouru 2.268 kilomètres ! Au bout de quatre ans, je totalisais 9.072 kilomètres ! Vive la marche !

Jean-Paul BOSQUÉ-OLIVA (in "l’Echo de l’Oranie" - septembre-octobre 2020)

MON LYCÉE

J’aime mon "bahut", je m’y sens bien. J’aime l’architecture un peu mauresque, orientale du lycée Lamoricière. Ce très long bâtiment avec un rez-de-chaussée et deux étages de classes est flanqué de part et d’autre de plusieurs cours carrées au milieu desquelles se dressent de grands palmiers. Ces cours que nous remplissons aux heures de recreation ou de gymnastique sont bordées de salles vastes et claires. L’originalité essentielle se découvre à l’intérieur du bâtiment central qui se présente tout en galeries et arcades avec, à trois reprises, comme des haltes de calme et de repos, des patios garnis de quelques arbres autour d’une fontaine ou d’un bassin où nagent de paisibles poissons rouges. Ce sont les cours d’honneur, celles où ont lieu en fin d’année, au mois de juin, les distributions de prix ; on les préfère aux autres à cause de l’impression de sécurité et de fraîcheur qu’elles procurent à cette cérémonie.

Heureusement que j’aime mon lycée, car j’y passe beaucoup d’heures de la journée, les principales. Je suis demi-pensionnaire et le soir je reste à l’étude jusqu’à sept heures avant de monter chez moi. La plupart du temps, mes cours commencent à huit heures. A midi, quand finissent ceux de la matinée, nous nous rendons dans l’immense réfectoire où nous nous retrouvons plus de six cents.

Dans les cours de récréation, nous nous bousculons après chaque repas, vers midi et demi. Ceux qui travaillent très consciencieusement et ne veulent pas perdre une miette de savoir révisent leurs leçons en se tenant groupés prés du perron pour étre très vite, dès la première sonnerie, dans les couloirs et pour rejoindre les premiers 1a salle d’étude. Ils ont leur manuel dans les mains, tenu tout près des yeux, leur cartable a leurs pieds et déjà l’air triste des gens trop studieux,trop bien rangés. Les fanatiques du football ne se comptent pas ; heureusement, la cour est immense et deux matches peuvent s’y dérouler en même temps sans que les joueurs se mélangent. Il y a aussi le clan des amateurs de cartes. Très nombreux, ils jouent par groupes de quatre à la belote bridgée ou au barbu, assis par terre, sous 1e préau, près des cabinets. Tout autour de la cour, les murs sont le domaine des joueurs de pelote basque. Nous appelons ce jeu ainsi, mais il ne doit pas avoir grand-chose en commun avec la vraie pelote basque…

Lucien Guy TOUATI "... et puis je suis parti d’Oran"

SOUVENIRS D’ANDRE CHOURAQUI : extraits de son livre "L’amour fort comme la mort" (Robert Laffont)

Pendant sept ans, je fus ainsi prisonnier des murs de pierres peintes en ocre et en rouge de notre lycée, où le seul espace de liberté se trouvait dans les cours de récréation asphaltées où pendaient les feuilles vertes trouées des grappes rouges de faux poivrier rachitiques.

La délicieuse liberté dont je jouissais au sein de famille avait fait place, du jour au lendemain, à une discipline de fer, au rythme impératif d’un tambour napoléonien qui donnait, dès six heures du matin, le signal de notre réveil, puis d’heure en heure celui du début et de la fin de nos cours ou de nos repas, avant de nous renvoyer, au son d’un ultime roulement, au fond de nos lits, dans d’immenses dortoirs au milieu desquels s’élevait la lugubre silhouette d’un lit à colonnes posé sur une estrade et caché par des tentures, sous lesquelles sévissait un tout-puissant surveillant, notre geôlier.

Au-dessus de lui, jusqu’au censeur et au proviseur, il y avait toute une hiérarchie, en guerre constante avec l’intenable bande de voyous indisciplinés qu’elle avait pour impossible mission de civiliser. La force de frappe se trouvait entre les mains d’un surveillant général omniprésent et toujours fulminant qui faisait pleuvoir sur nous les punitions les plus variées, dont la pire, à nos yeux, était la retenue : cette sanction nous empêchait, les jeudis et les dimanches, de sortir du lycée sous la responsabilité de nos correspondants locaux, pour nous précipiter dans les cinémas de la ville ou, les plus grands, dans les maisons closes de la pittoresque rue des Jardins, non loin de la place d’Amies. Notre impitoyable jeunesse n’appelait nos cerbères que par leurs surnoms fort suggestifs. Le plus terrible d’entre eux, nous l’appelions Pinenzinc. Mon innocence était telle que je l’abordai un jour pour lui demander je ne sais quelle autorisation en l’appelant fort respectueusement « Monsieur Pinenzinc ... ». A sa fulgurante réaction, j’appris ce que signifiait ce mot ...

A vrai dire, au lycée d’Oran, dès l’âge de onze ans j’étais transformé en robot qui se réveillait, mangeait, étudiait et se rendormait au son du même tambour qui mettait en branle les soldats de l’Empire. Ce n’est que vers la fin de ma scolarité qu’une sonnerie électrique remplaça le tambourinement napoléonien. Pendant sept ans, je dus ainsi marcher au pas : j’en ai gardé un sens aigu de l’heure, une exactitude qui ne supporte aucun retard chez moi ni chez les autres…

Les professeurs chargés de nous former étaient, pour la plupart, d’excellents maîtres. L’Algérie offrait alors à leurs ambitions non seulement l’exotisme de ses paysages, mais encore un traitement augmenté du « tiers colonial » par rapport aux salaires de la métropole. La plupart étaient des agrégés, souvent de gauche, qui n’avaient d’autre ambition que de nous transformer en ce qu’ils étaient eux-mêmes, des bêtes à concours. Ils réussirent à le faire pour l’élite des élèves livrés à leur magistère. L’internat leur fournissait la serre chaude où il n’était possible de survivre qu’en se consacrant, corps et âme, aux études. C’est ce que je fis avec conviction. Hors des classes, j’avais deux domaines où mon infirmité n’était plus un handicap : les agrès et la natation. Ces sports transformèrent le frêle enfant que j’étais en un adolescent au torse et aux bras solidement musclés, capable d’exploits qui compensaient, à ses yeux, la défaillance de ses membres inférieurs.

L’amélioration de ma force physique facilita mes progrès scolaires. J’arrivais en sixième avec le retard que j’avais pris à l’école communale où je n’avais fait que deux ans de scolarité. Je n’ai jamais appris par cœur la liste des départements, des préfectures et des sous-préfectures qui, à l’époque, faisait partie intégrante du baptême républicain. Quant aux mathématiques... : « De la bonne volonté, mais bien faible », notait, dépité le professeur Zurbach, un Alsacien doté d’un fort accent. A la première interrogation qu’il me fit subir devant le tableau de la classe, je perdis tellement contenance que je ne sus lui dire combien faisaient deux et deux. Il me renvoya à ma place, tout piteux, tandis qu’il ricanait : « Il ne sait pas combien font deux et deux non, il ne le sait pas ... »

Pour le reste, mais non sans mal, je parvins à m’améliorer de trimestre en trimestre, d’année en année, mais sans jamais faire d’éclats, même en français, en histoire ni en sciences naturelles qui étaient mes matières de prédilection. Quoi qu’il en soit, je parvins à passer sans trop de difficulté de classe en classe sans jamais redoubler et à obtenir honorablement mon baccalauréat. En première et en classe de philosophie, j’étais unanimement noté comme un « élève très consciencieux », mais sans plus. L’obsession de l’étude grandissait à mesure que nous approchions de l’échéance de notre scolarité En 1934 et 1935, nous avions à présenter nos bachots. Je crois n’avoir jamais de ma vie travaillé davantage que durant ces deux années. Avec les plus studieux, je me levais vers quatre heures du matin. Comme nous étions enfermés à clé dans nos dortoirs, nous sortions par les fenêtres du deuxième étage et passions par les lavabos pour rejoindre l’étude où nous travaillions jusqu’à l’aube, avant de rejoindre nos lits à quelques minutes du réveil officiel, passant par le même chemin, au risque de nous rompre les os.

Sept années d’études intensives avaient introduit dans nos cerveaux, davantage que des connaissances, un instrument intellectuel, une méthode de travail, qui me servira à longueur de vie. Nous savions aborder un problème et le résoudre, poser une question et l’exposer, rédiger une dissertation, analyser une situation un texte. La formation que nous avions reçue avait effacé notre identité originelle. Nous étions devenus de bons petits Français identiques – on le croyait – à nos congénères des bords de la Seine, de la Loire, du Rhône ou de la Garonne…

Au lycée d’Oran, nous ingurgitions la nourriture qui nous était présentée sur des tables de marbre posées sur des pieds de fer, autour desquelles dix appétits dévoraient ce qui tombait dans nos assiettes sans demander si cette viande était rituellement abattue ou si ce saucisson sortait de la cuisse d’un veau, d’une dinde ou d’un porc…

Un jour que je fus pris dans un de ces chahuts monstres qui rendaient possible la vie de l’internat, je fus traîné dans le bureau du censeur pour recevoir la semonce que je méritais, avec la retenue qu’elle m’annonçait. Le censeur que nous appelions Barrabas à cause de sa barbe noire, se fit aussi éloquent qu’il pût : il termina sa tirade par ces mots : « Chouraqui, vous êtes un fruit intact au milieu des fruits pourris. Gardez donc votre innocence et votre pureté. Préservez votre fruit de la pourriture de leurs vers » …

André CHOURAQUI

HTML - 196 octets

SOUVENIRS DE CLAUDE MARTIN, élève au lycée Lamoricière, agrégé de lettres, auteur de "l’Algérie heureuse"

Il y a bien longtemps, un 1 er octobre, quand la grande guerre faisait rage, ma mère me mena au Lycée de garçons d’Oran qui ne s’appelait pas encore Lamoricière et qui n’avait pas encore le monument aux morts qui orna ensuite la cour d’entrée. Je pris place dans la cour où se réunissaient "les petits" et je commençai une carrière scolaire quelque peu fantaisiste où mon amour des Lettres et de l’Histoire n’avait d’égal que mon dédain pour les mathématiques.

J’y ai connu d’excellents maîtres. La plupart prenaient leur tâche au sérieux. Ils croyaient à leur mission d’éducateurs. Je me rappelle un vieil instituteur de 7ème, M. Bernard qui venait faire sa classe en jaquette. Il voyait mal. Pour lire il devait ajouter à ses lunettes un pince-nez qui chevauchait le bout de son nez, mais cette faiblesse ne l’empêchait pas de corriger soigneusement nos dictées et de nous expliquer l’Histoire de notre pays selon Lavisse et Pagès. C’était un exemplaire de ces hommes dévoués que Péguy appelait les "hussards de la République". Nous leur devons beaucoup.

A partir de la sixième chaque matière était exposée et expliquée par un spécialiste. Il fallait se promener d’une classe à l’autre sous l’œil plus ou moins vigilant d’un pion. Le signal des fins de cours était donné par un roulement de tambour qu’exécutait un garçon de cuisine. Ce ne fut que dans les dernières années de "bahut" que ce vestige de l’université napoléonienne disparut pour laisser la place à une sonnerie électrique, symboles des temps nouveaux. Suivant le cours que nous suivions au moment du signal nous poussions un soupir de soulagement ou nous regrettions cette interruption (la première attitude était de beaucoup la plus répandue). Quelquefois j’aurais bien prolongé une explication de texte ou la lecture d’un poème ou d’une scène de théâtre lue par notre professeur de lettres M. G. Perthuis. Celui-ci détaillait de sa belle voix grave des vers de Victor Hugo - son poète favori - ou une scène de Molière. Cela m’enchantait et lorsque je lis des textes français à mes étudiants ma pensée se reporte souvent à cet excellent maître.

Je ne peux oublier non plus notre professeur d’Histoire, M. Victor Tonnaire. C’était un petit homme à l’esprit vif et souvent sarcastique pour les paresseux et les nonchalants. Il était patriote et s’efforçait de nous faire sentir le rôle de la France dans l’histoire. A cette époque, l’histoire avait une grande place dans les sections littéraires. Nous étudiions l’histoire contemporaine, mais aussi l’histoire ancienne. César devait nous être aussi familier que Napoléon. Un lecteur sourira peut-être de cette conception à peu près abandonnée. La Charte d’Amiens supplante la Constitution d’Athènes du vénérable Aristote. Place au pratique.

Je crois que notre lycée avait la réputation dans le corps enseignant d’être difficile.

L’ensemble des élèves était hétérogène. De jeunes citadins coudoyaient les fils de colons, de jeunes métropolitains, des "pieds-noirs " (le mot n’existait pas, mais ce qu’il désigne existait bien) portant des noms espagnols, parfois italiens ou israélites. En revanche, les "arabes" étaient rares. Des fils de fonctionnaires ou de membres des professions libérales étaient mêlés à des fils de commerçants, de courtiers, d’agriculteurs. Tous ces garçons faisaient bon ménage cependant, sans qu’on eût besoin de leur rebattre les oreilles de discours sur l’égalité des hommes.

Le comportement envers les professeurs était plus discutable. Selon ceux-ci les élèves se montraient corrects ou odieux. Un chahut chez les professeurs que j’ai cités plus haut était inimaginable. En revanche, tel professeur de lettres très estimable avait beaucoup de mal à faire son cours dans une atmosphère souvent houleuse, mais il y avait pis. Je me souviens d’un malheureux professeur de sciences, jeune et manquant d’autorité que j’eus en quatrième. Je ne sais pourquoi mes camarades avaient décidé qu’on pouvait tout faire dans sa classe. La leçon se déroulait au milieu de beuglements, de cris d’animaux tandis que le pauvre maître s’efforçait d’exposer la géologie. Ces débordements me dégoûtaient. C’est en partie là que j’appris à me méfier du désordre et à douter de la bonté naturelle de l’homme chère au bon Rousseau.

Cela se passe dans tous les établissements scolaires du monde. Le garçon qui chahute le professeur qu’il juge faible devient souple comme un gant quand il juge que le "prof" a de la poigne ou est sympathique. Il restait à déterminer pourquoi le professeur est condamné à être persécuté par les gamins qui théoriquement doivent le respecter et pourquoi son voisin de classe jouit d’une tranquillité parfaite. Cela se décide dans les deux premières heures de cours qui équivalent aux rounds d’observation des boxeurs. Un défaut physique, une erreur d’élocution, un accent singulier, un lapsus peuvent faire perdre le prestige du maître, mais un des collègues de celui-ci qui a le même défaut physique, le même accent et qui a peut-être fait le même lapsus n’en souffre nullement. On est en plein irrationnel. L’un s’impose. L’autre est condamné à servir de bouffon s’il n’a pas la sagesse de demander de changer de poste.

Ce curieux phénomène se voit dans beaucoup de lycées. Les jeunes Oraniens n’étaient donc pas plus méchants que d’autres garçons de leur âge en métropole. J’ai connu des professeurs qui sont partis d’Oran pour rejoindre un poste à Paris et qui regrettaient leur départ d’une ville cordiale.

Dernière image. Les cours de religion commençaient à quatre heures, après une courte récréation. En attendant la fin de celle-ci, on voyait se promener gravement sous le préau l’abbé Banton, le pasteur protestant, le Grand Rabbin Weil et leur collègue musulman. Ces messieurs semblaient s’entendre fort bien. C’étaient les précurseurs de l’œcuménisme bien avant que le mot fût à la mode

Claude MARTIN in Bulletin des Anciens et Anciennes des Lycées d’Algérie - Lycée Lamoricière - 1997

MES PROFESSEURS D’ANGLAIS

De ma Sixième à ma Terminale, j’ai suivi - il serait injuste et malséant de dire" subi" les cours d’un certain nombre de profs d’anglais. Il en est trois dont je garde un souvenir particulier.

Madame B**** d’abord, en Sixième, parce que c’est elle qui m’a initié à la langue. De taille moyenne, ni belle, ni laide, ni jeune, ni vieille, sanglée dans de stricts tailleurs gris ou tirant sur le beige, elle nous enseignait avec précision, méthode, et une froideur toute britannique, qui se teintait parfois d’une discrète ironie, quand l’un de nous trébuchait gravement sur la prononciation ou la syntaxe. Sévère, mais pondérée, elle faisait penser à une directrice de pensionnat victorien.

Monsieur F**** ensuite, en Cinquième. Il avait lui aussi quelque chose de britannique, mais agrémenté d’une note pittoresque. Long et maigre, avec un visage étroit, osseux, au teint étrangement brouillé, avec un parler lent et doctoral, une allure à la fois digne et excentrique, il semblait sortir tout droit d’un roman de Dickens. Brave homme au demeurant, et bon professeur.

Si les deux magisters que je viens d’évoquer brièvement possédaient - par prédestination ? Par mimétisme culturel ? - un look indiscutablement british, il n’en était pas de même pour vous, truculent Monsieur V**** ! Vous étiez rondouillard, rougeaud et jovial ; une pointe d’accent méridional ensoleillait votre voix, qui roulait les" r ".

Généralement indulgent, vous piquiez parfois de formidables colères. Oh, ce jour où, devant notre classe de Troisième médusée, vous avez, de vos deux mains rageusement réunies, réduit en grosse boule de papier froissé un paquet de compositions ratées !

Et je n’ai guère connu de prof d’anglais qui fut, apparemment je le précise, aussi peu amoureux que vous de culture britannique. Les sœurs Brontë, par exemple, vous agaçaient, avec leurs pasteurs, leurs tasses de thé, leur romantisme échevelé. Vous agaçait également la poésie anglaise, trop prodigue, selon vous, de fastidieuses allitérations (" the fair breeze blew, the white foam flew, the furrow followed free ... "). Vous préfériez de beaucoup les rudes accents de la poésie germanique, dont il vous arrivait, au beau milieu d’une explication de Shelley, de nous réciter une strophe aux cadences presque militaires ..

Si Mme B**** et Messieurs F**** et V**** étaient encore de ce monde, et si par un hasard extraordinaire ces lignes leur tombaient sous les yeux, je pense qu’ils me pardonneraient d’avoir esquissé d’eux un portrait un peu poussé à la caricature, car je n’y ai mis aucune méchanceté, et je n’ai à aucun degré contesté leur parfaite compétence technique et linguistique. Je leur sais gré, au contraire, de nous avoir donné - à tant de mes camarades et à moi-même - des bases" en béton ".

A ce propos, une remarque, qui me servira de conclusion : autrefois, nous avions, profs et élèves anglicistes, pratiquement un seul outil de travail, l’austère Carpentier-Fialip, maigrement illustré de dessins et de photos en noir et blanc. Aujourd’hui les classes ont à leur disposition des manuels en couleur, pimpants comme des bandes dessinées, des magnétophones, des cassettes vidéo, des linguaphones ... de quoi progresser gaiement, comme en rêve. Et pourtant, ceux de mes collègues qui enseignent l’anglais m’assurent que jamais la bonne volonté et l’appétit de savoir des élèves n’ont été à si bas niveau. Curieux, non ?

F. BARON in Bulletin des Anciens et Anciennes des Lycées d’Algérie - Lycée Lamoricière - 1997

HTML - 196 octets

MON ENTREE AU LYCEE LAMORICIERE

C’est dans ces temps, quatre ans avant que notre père ne nous quitte, que je fus confronté à ce qui serait pour moi une grande fracture dans ma vie d’adolescent : mon entrée au lycée.

M.André, notre brave instituteur, avait décidé de présenter ses meilleurs élèves au concours d’entrée en sixième. J’en faisais partie et alors que mes parents me destinaient plutôt au Collège Moderne d’Ardaillon - qui deviendra plus tard le Lycée Ardaillon - et où les études étaient davantage tournées vers le technique et les mathématiques, dans l’espoir de me voir recevoir une rapide formation qui me permettrait d’en savoir suffisamment pour épauler et aider notre père dans la gestion de la propriété, on préféra m’inscrire au lycée Lamoricière, prestigieux établissement d’Oran, temple des lettres classiques. Notre préférence pour Ardaillon tenait seulement au fait qu’on pensait en avoir fini avec mes études plus tôt. On savait notre père malade, et il fallait songer à le soulager et peut-être même à le remplacer.

Mais l’instituteur convoqua Maman pour lui dire qu’il me voyait davantage faire des études de lettres au lycée Lamoricière.

C’est donc au lycée Lamoricière que je fis mon entrée en octobre 1951. C’était un bel établissement, un des plus grands d’Algérie et qui avait vu passer pas mal d’élèves, certains très connus comme le mathématicien Gaston Julia devenu par la suite Président de l’Académie des Sciences, ce qui n’est pas rien ! Par la suite d’autres non moins illustres personnages l’auront fréquenté comme Yves Mathieu St Laurent , Jean-Pierre Elkabbach, Alain Gomez le patron de Thomson, plusieurs professeurs de lettres agrégés et enseignant en Sorbonne, quelques éminents professeurs de médecine aussi… Comme je n’étais pas suffisamment développé physiquement à mon âge, on hésita à m’inscrire comme interne et on préféra pour moi la demi-pension qui me permettrait de rentrer tous les soirs chez l’oncle et la tante Masson que nous connaissons bien. Dès le premier jour, je suis affecté dans la classe 6ème 7. Sur la trentaine d’élèves qui se rangent à mes côtés, je ne connais bien sûr personne. Ils sont tous ou presque externes. Ils sont tous oranais ou originaires de Mers-El-Kébir ; le grand port de guerre voisin. Certains connaissent bien le lycée, ils y ont fréquenté l’école primaire qui lui est adjointe. Les fils Strullu Eric et Hervé ont même leur père directeur de cette école. Il y a également un ou deux fils de professeurs, comme Philippe Robba dont le père, grand professeur de mathématiques au lycée est mort l’année précédente, et le jeune Tarlet dont le père, professeur de français, boîte légèrement. Le fils Vazquez, un grand tailleur d’Oran, deux ou trois redoublants qui m’impressionnent par leur taille ou leur volume ; Soto, Santa Maria, et quelques élèves bien grands pour fréquenter la classe de sixième car ils portent des embryons de moustaches et leurs jambes sont toutes couvertes de poils - je m’en apercevrai en gymnastique ! Jean Théodorou que je retrouverai en terminale et que j’ai le plaisir de fréquenter encore ne m’en voudra pas de l’avoir compté parmi ces derniers ! Je porte un tablier gris sanglé à la taille pour protéger mes vêtements car je dois déjeuner au lycée que je ne quitterai qu’en fin d’après-midi après l’étude du soir. Toute la matinée nous la passerons chez M .Calmels, notre professeur de Français-Latin. Dictée de l’emploi du temps, recommandations diverses, note sur demi-feuille de quelques renseignements concernant nos parents, leur profession, leur adresse, le nombre et l’âge de nos frères et soeurs, nom et adresse de l’établissement qui nous accueillait l’an dernier, etc… En ramassant les demi-feuilles, le professeur s’entretient avec certains d’entre nous dont il connaît les parents, semble-t-il. M. Calmels est un homme d’une quarantaine d’années, il porte des lunettes à monture sombre et fume en permanence, ce qui ne gêne personne. Il parle avec un accent qui, semble-t-il, indique qu’il n’est pas de chez nous. Il accentue sa diction comme tous les latinistes sur les terminaisons de chaque mot. On s’accorde quelques minutes de récréation puis de nouveau en classe pour l’écouter nous dire comment il entend nous voir travailler.

Tout passe en revue : la tenue des cahiers, la présentation du travail, les interrogations écrites, les devoirs sur feuille numérotés très importants et les compositions trimestrielles.

Lorsque la sonnerie retentit, tout le monde se précipite vers la porte d’entrée, traverse la cour Chevassus pour se retrouver très vite dans le grand hall d’entrée du lycée. Porté par le mouvement, je me retrouve dans la cour d’honneur à l’extérieur, face au monuments aux morts, alors que je ne dois pas quitter l’établissement, mais plutôt me diriger vers le réfectoire. Je rebrousse donc chemin, ce qui n’est pas facile quand près de 2000 externes de toutes classes circulent en sens inverse ! Je suis bousculé et même frappé à la tête par quelques grands externes trop heureux de se venger ! Nous le verrons plus tard, mais dans le lycée qui comptait environ 2500 élèves dont 400 internes et une cinquantaine de demi-pensionnaires, les internes, fils de la maison, faisaient la loi ! Reconnaissables à leur tablier noir ou gris, ils pouvaient se permettre de défier qui que ce soit, y compris les grands externes de terminale, sans jamais être inquiétés. Il existait par ailleurs une grande solidarité entre tous ces potaches. Malheur à qui s’attaquerait à l’un d’entre eux même isolé ! Certains externes avaient dû en être victimes et tenaient là leur revanche. Je remonte donc le flux descendant des élèves et me dirige péniblement vers ce qui me semble être le réfectoire. Je n’ai jamais vu de réfectoire et ne me souvenant plus du mot, je demande un peu au hasard où se trouve la salle à manger . Aucune réponse chacun est pressé d’aller chez lui, quand tout à coup j’aperçois à un carrefour de galeries, debout sur une chaise, canalisant le flot des élèves, un adulte semblant s’adresser aux nombreux élèves. Je me dis : « voilà un adulte , je suis sauvé », et en m’approchant je reconnais un surveillant général que l’on m’a dit s’appeler Puceau ! Dans un costume rouille, portant un feutre de la même couleur, petit de taille, il s’agite sur son perchoir improvisé. Je tente de m’en rapprocher le plus possible et lui crie : « Pardon , Monsieur Puceau, où se trouve le réfectoire ? » A ce moment, l’homme enrage et me fouettant du regard m’administre une gifle que je n’ai jamais oubliée pendant qu’il me crie : « Tu apprendras, petit , que mon nom est Pucinelli , PU - CI - NEL – LI ». Sur le moment, je ne comprends rien à ce qu’il dit et, en larmes, je décide de repartir vers la sortie, me disant que même le surveillant général, un adulte pourtant, n’a pas voulu m’indiquer le chemin du réfectoire ! Mieux, il m’a giflé ! Le lycée, ce ne sera pas pour moi ! Je sors donc à nouveau par la cour d’honneur, bien décidé à aller déjeuner chez les Masson et à ne plus retourner au lycée. A mon arrivée, l’oncle et la tante ne cachent pas leur surprise. Je leur raconte ma mésaventure. Ils veulent m’accompagner l’après-midi mais je refuse et ce n’est que le lendemain que Maman prévenue me raccompagnera. Le censeur à qui nous racontons l’histoire qui m’est arrivée, souriant, me fait comprendre que le surveillant général M. Pucinelli est un brave homme mais il tient ce qui est normal ; à ce qu’on l’appelle par son nom et non autrement comme le font les grands élèves qui lui manquent de respect. Je ne saisis pas très bien ce que me dit le censeur, mais je suis bien décidé à ne plus m’adresser à M. Pucinelli dorénavant. Avec un peu de recul, j’ai bien ri moi aussi, mais je pense que cet homme excédé certes aurait pu quand même comprendre qu’il avait affaire à un jeune enfant ignorant encore la signification de ce mot, ce qui était le cas.

Les jours passent et petit à petit, j’apprends à vivre dans cette nouvelle communauté. Mes résultats ne sont pas décevants mais ils pourraient être meilleurs. Ils sont cependant dans l’ensemble assez bons malgré un léger fléchissement en fin d’année. J’ai quand même eu le tableau d’honneur une fois au premier trimestre. J’ai du mal à comprendre pourquoi les Romains s’exprimaient ainsi ! Le latin m’interpelle, surtout ces déclinaisons que j’apprends par cœur sans trop comprendre leur utilité. En mathématiques, je suis sans problème mais le professeur, M.Zurbach, est très âgé et prendra sa retraite l’année suivante. On ne peut pas dire qu’il me motive beaucoup. Il ne quitte pratiquement jamais son bureau et porte même en classe un grand béret. Il semble avoir ses chouchous comme Philippe Robba dont le père a été un collègue et un ami et à qui il sourit souvent. Les autres élèves sont quasiment ignorés. Et pour la première fois, on nous appelle par notre nom ! J’apprendrai plus tard que ce fut un très grand professeur et qu’il fut très apprécié de ses élèves.

Seul le professeur d’histoire, M. Leca, me plaît énormément. C’est un immense plaisir que d’assister à ses cours. L’histoire qu’il raconte, lui aussi assis à son bureau, est bien vivante. Il sait trouver les mots, les images qui captivent notre attention. De plus, pendant le cours, il nous suffit d’écouter, ce que nous faisons bien volontiers. On ne prend aucune note, on n’ouvre aucun cahier, aucun livre. Lorsque la sonnerie retentit, nous regrettons de devoir quitter la classe.

A la première composition, nous déchanterons quelque peu car, n’ayant pris aucune note, nous aurons du mal à réviser. Nous n’avons plus que le livre comme support et il nous est difficile de l’utiliser pour répondre à une question de synthèse comme il plaira souvent à M.Leca de poser. Après chaque composition, on se demande si on a bien répondu. De plus le professeur - et c’est nouveau pour nous - souhaite et exige que le devoir d’histoire ou de géographie soit construit comme une composition française : introduction, développement et conclusion. Il est également très exigeant sur l’orthographe. Avec quelque appréhension nous attendons les résultats de la première composition. Ils ne viendront pas tout de suite. Contrairement à ses collègues, M. Leca ne rend pas les copies. Nous ne les verrons jamais. Il se contente, après qu’on a demandé à plusieurs reprises les résultats, d’ouvrir son calepin et de nous donner par ordre alphabétique les notes sans aucune observation. Peu bavard et très peu généreux, puisque le premier a environ 11 ou 12 et le dernier 3 ou 4 sur 20. Nous restons un peu sur notre faim, d’autant que même si la note nous paraît insuffisante, nous n’avons aucun moyen de le vérifier. Pourtant, j’ai eu plusieurs années ce professeur et j’ai toujours été très heureux de l’avoir. Même dans les grandes classes, il utilisait la même méthode. Que se passerait-il aujourd’hui si on ne rendait pas aux élèves leurs copies ? Il ne nous serait jamais venu à l’époque, et sous le nez du professeur, de comparer sa copie avec celle de son voisin et au besoin faire remarquer quelque erreur de correction ! Ça ne se faisait pas, même si on mourrait d’envie de le faire…. Aujourd’hui c’est très courant.

Un autre professeur chez qui j’ai plaisir à aller, c’est M.Schlegel, le professeur de dessin.Blond et mince, peu loquace, c’est un homme du Nord. L’homme en lui-même est assez froid et distant. Ce que j’aime, c’est dessiner. Je me débrouille assez bien et il a tôt fait de s’en apercevoir. J’aurai presque tout le temps la première place .

La musique ne me dit rien surtout avec le brave Totor (M.Pastor) ! Et la gym où j’ai assez peu de dispositions, j’ai vite fait de me faire remarquer, et pas en bien ! M. Aboudahram est très consciencieux , peut-être un peu trop .

Le soir en étude, de 17h à 19h, le répétiteur est un certain M.Médioni qui, comme la plupart des répétiteurs, est étudiant ou prépare des examens pour être titularisé. Il ne souhaite pas pendant ces deux heures d’étude être ennuyé. Aussi, après avoir fait mes devoirs et appris mes leçons, je passe le reste du temps à rêver. Je pense au village, à mes pigeons, à mon petit frère, à ma grande sœur, à mes parents, à mes copains plus heureux que moi puisqu’ils n’ont pas été reçus au concours d’entrée en sixième. On ne les a même pas présentés. Ils peuvent ainsi continuer à jouer librement aux pignols, à délivré , à chicha la fava … J’envisage même de demander pour Noël une carabine à mes parents, mais pour cela il faut que j’obtienne le tableau d’honneur. J’ai mis dans la confidence ma tante Fifine et l’oncle Marcel. Ils pourront plaider ma cause encore que… il sera difficile de convaincre Maman que le nom seulement de l’objet effraie !

J’ouvre mon cahier de brouillon et j’imagine la carabine qui me sera offerte ! Je commence toujours par dessiner le canon épais avec le guidon, le fût en bois avec ses fixations, l’anneau de bretelle, la culasse et son levier, puis la queue de détente et je termine par la crosse. Passe alors dans les rangs M. Médioni pour s’assurer que ses élèves sont tous intelligemment occupés. Je ne l’ai même pas vu venir. « Tiens , c’est tout ce que tu fais ? » J’essaie de lui expliquer que j’ai fini mes devoirs et appris mes leçons…. Peine perdue. « Tu me copieras pour mardi prochain trente fois la fable « Les deux pigeons » de Jean de La Fontaine. Tu peux commencer tout de suite ! » Je me jette aussitôt sur mon recueil de fables et je constate que, de toutes les fables de La Fontaine, c’est une des plus longues…. Sale vache de Médioni ! Il m’aura à l’œil constamment et les autres soirs, il me surprendra à parler un peu trop pendant l’étude et ça se traduira par une mauvaise note de conduite qu’il recopiera chaque soir sur un grand cahier déposé chez le censeur. La fréquence de mauvaises notes peut entraîner une colle le jeudi. Me voilà bien encadré ! Dans cette étude réservée aux « demis », toutes les divisions sont représentées. Il y a parmi nous d’assez grands élèves. Beaucoup de Juifs et quelques Arabes, parmi eux un Mohamed Ben Daoud, le petit-fils du Colonel à qui Grand-père a acheté les terres de Tamtrayah. Tous sont intéressés par mon stylo « Edacoto » qui m’a été offert pour ma communion par l’oncle et la tante Masson. C’est vrai qu’il est magnifique, le corps composé de nacres enchevêtrées couleur ambre, il porte une belle plume en or 18 carats ! Un soir en ouvrant ma trousse, je constate qu’il n’y est plus. Je me mets à le chercher un peu partout. Médioni que mes recherches agacent m’en demande la raison. Je lui dis les larmes aux yeux que mon stylo a disparu et lui en donne la description …qu’il m’avait été offert pour ma communion …Il me répond sèchement : « On n’a pas idée de porter ce genre de stylo ici ! » Il avait raison et plus jamais ni ici ni ailleurs je n’eus l’occasion d’en porter. Le plus difficile fut d’avouer la perte, ou plus probablement le vol, à l’oncle et à la tante Masson ...

Jean-Paul VICTORY Baptiste Carillo, Histoire de ma famille, Souvenirs d’Algérie , chapitre XIX

QUELQUES PORTRAITS DE PROFESSEURS

Il faut dire, à ma décharge, que le « prof » de latin que j’avais déjà eu en sixième, était particulièrement exigeant. Lorsqu’un élève ne savait pas suffisamment bien sa leçon, Monsieur Darolle levait les bras au ciel et proclamait : « Beati pauperes, etc. » (Heureux les pauvres d’esprit, etc.), c’était la honte devant les copains. Toutefois, cette année-là, j’eus un autre enseignant. Il était breton, comme l’indiquait son nom : Monsieur Le Bihan, toujours tiré à quatre épingles, nous donnait des mots latins à apprendre par cœur puisque la composition qui suivait était une version latine composée de ces mêmes mots. Le dictionnaire étant interdit ce jour-là ! Plus tard, lors de nos études de pharmacie, cette langue morte devait nous être utile (le temps de l’examen de stage) pour retenir plus facilement le nom latin des plantes de notre herbier [….]

………………………………………………………………………………………………………................................

Les sciences naturelles incombaient à Monsieur Masson, un homme trapu et persuasif dont les explications, souvent compliquées, nécessitaient une « rediffusion » à laquelle il se prêtait volontiers. Son visage se dissimulait derrière de grosses lunettes de vue à montures noires, lui donnant un air faussement sévère. En fait, ce professeur à la voix grave, et à l’humour certain, se montrait très tolérant, voire amusé, lorsqu’il regagnait son bureau, à la vue du squelette suspendu à sa potence, fumant une cigarette allumée et devant lequel il passait sans un regard.

De son côté, Monsieur Vié Le Sage, notre professeur de philosophie, ne ressemblait à aucun autre enseignant du lycée. Sa grande taille et son crâne rasé lui conféraient une certaine distinction, qu’il complétait avec des costumes bien coupés, ornés de .. cravates discrètes. En hiver, le col de son pardessus relevé lui donnait un « look Bogart » décontracté. Ses cours étaient à la hauteur du personnage. Il savait captiver son auditoire dans l’exposé de ses textes philosophiques aux sujets évidents ou improbables, qu’il traitait toujours avec gravité ou humour. Ainsi, un matin nous devions nous expliquer sur des lignes imaginaires et parallèles qui se rencontraient à l’infini ! Quoiqu’intéressant, ce sujet était pour nous un peu abstrait. Nous étions dubitatifs et nos jeunes cerveaux semblaient hermétiques à une quelconque réponse. Après un silence, je me décidai et levai la main, faisant part de mon étonnement, puisqu’en mathématiques, on nous avait affirmé que deux lignes parallèles ne se rejoignaient jamais ! C’était le dilemme du jour, qui occupa la classe un bon moment, mais Monsieur Vié Le Sage, en bon philosophe, trouva une « sortie » en s’appuyant sur le symbolisme, mettant ainsi fin à nos doutes et nos hypothèses farfelues ! […]

Après le cours de philo du lundi matin, nous changions de classe pour rejoindre celle de Monsieur Tostivint, notre professeur agrégé d’histoire-géo, dont les cours très vivants étaient illustrés de bon nombre d’anecdotes. Cet homme portait constamment, vissé sur sa tête, un béret basque noir légèrement élimé, pour cause de calvitie avancée, ce qui n’altérait en rien ses bons mots et sa bonne humeur. Pendant ses cours, les élèves ne se gênaient pas pour distraire les copains, en lançant discrètement à voix basse, des fins de phrases, dont les débuts étaient dits par ce professeur, ce qui donnait parfois, des « chutes » amusantes et inattendues. Ainsi, un jour où il nous parlait de l’économie allemande et plus particulièrement de celle de la Sarre, dont il ne cessait de répéter le mot, un groupe d’élèves du fond de la classe, attendit le moment propice pour lancer à la suite, le mot « dine ». En duo de voix, cela donnait, « la Sarre ... dine », provoquant une hilarité discrète parmi les élèves. Bien sûr, Monsieur Tostivint n’avait rien entendu et se demandait pourquoi nous riions. À notre décharge, après deux heures de philo, nos esprits se trouvaient légèrement perturbés par les grandes pensées, et un rien nous amusait !

A. PIERNE  : Deux valises par famille

SOUVENIRS MINUSCULES

(En pensant à Georges Pérec).

En arrivant au lycée la première fois, je fus saisi par la majesté de la façade précédée par le monument aux morts dédié aux anciens lycéens disparus dans les guerres. Je faisais mon entrée dans la grande Histoire !

La succession des patios vénérables, des cours séparées attribuées aux différentes classes, des galeries et de leurs reproductions d’art antique, du réfectoire, des salles de cours et d’études en amphi, des dortoirs nets comme des salles d’hôpital, contribuent à faire une assise commune dans la mémoire des générations qui se sont succédé à Lamoricière.

La vie au lycée était... quotidienne, avec ses horaires pointilleux, ses circuits, ses rites, sa nomenklatura, ses obligations et ses légendes colportées par les anciens.

L’existence du potache différait sensiblement de celle du demi-pensionnaire ou de celle de l’externe, petits oranais bien sapés.

Je souhaite faire une place ici à des petites bribes subjectives, forcément subjectives, à des faits sans importance, des images, sans intérêt peut-être pour un autre. D’où le titre.

Je me souviens que le surveillant général, la première fois que je l’ai croisé, m’a dit : « les mains des poches ! », et que je n’ai pas compris ce qu’il me voulait.

Je me souviens que j’ai compris quand il a réitéré sa remarque en haussant vraiment le ton.

Je me souviens du petit carton jaunâtre, obligatoire pour sortir du lycée, dans lequel étaient mentionnés le nom du correspondant et les autorisations parentales.

Je me souviens que j’étais excité de vivre à Oran, et dépité de ne pas pouvoir sortir à ma guise.

Je me souviens de Monsieur Forado, professeur d’histoire-géographie, qui terminait souvent ses phrases par : « N’est-ce pas ? ».

Je me souviens que nous l’appelions « Nezba ! ».

Je me souviens du silence pendant les études.

Je me souviens de l’appariteur qui passait le matin dans les classes avec un grand registre.

Je me souviens de la grande corbeille de pain du goûter.

Je me souviens que nous avions des sarraus gris, puants et raides de crasse.

Je me souviens du change au pied du lit deux fois par semaine.

Je me souviens que le surveillant d’internat dormait dans un cagibi au milieu du dortoir.

Je me souviens que nous allions à la douche une fois par semaine.

Le rituel des douches, le jeudi matin sauf erreur de ma part, tenait plus de la corvée obligatoire que du moment de délassement. Il fallait descendre quelques marches et nous arrivions dans un sous-sol. Le local évoquait l’ergastule plus que le spa quatre étoiles. Dans la salle des cabines, où nous entrions par fournées, la robinetterie n’avait qu’une seule commande manœuvrée par un pion ou par un agent de service. Sous le pommeau de la douche, l’eau arrivait quand le préposé à l’ouverture avait crié : »Mouillez-vous », puis, après quelques secondes sous le jet, il coupait l’eau avant d’entonner le second commandement :« Savonnez » , dans les protestations des transis ou des ébouillantés quand l’eau n’était pas à la bonne température, ce qui se produisait souvent.

A : « Rincez ! », il fallait faire fissa, l’eau pouvait être coupée à tout moment par le plaisantin aux manettes.

Je me souviens que le chef de table se comportait comme un petit-chef. Il se servait le premier, à l’envi, puis passait le plat à son vis-à-vis. Les copains étaient servis prioritairement. Le reste du plat échouait ensuite aux relégués en bout de table.

Je me souviens que l’infirmerie se trouvait dans un petit bâtiment, un peu à l’écart du corps principal du lycée.

Je me souviens que nous craignions Monsieur Defert, un surveillant général à la carrure majestueuse, que nous n’aimions pas croiser dans les couloirs.

Je me souviens de la messe le dimanche :

Laïcité oblige, l’administration du lycée n’intervenait pas. Le pion de surveillance au dortoir nous rappelait simplement que ceux qui souhaitaient se rendre à la messe le lendemain matin devaient mettre leur chaise au pied du lit .

Nous étions réveilles tôt, car nous allions à la première messe (à l’église Saint Louis ?), celle fréquentée par de vieilles femmes en noir.

Il fallait se lever et se préparer en silence, pour ne pas troubler le sommeil des copains qui avaient choisi de paresser.

Je ne sais pas si le pion qui nous accompagnait était volontaire.

J’aimais bien le parcours dans la fraîcheur des rues d’Oran, dépeuplées à cette heure matinale.

Je me souviens des jeux pratiqués pendant les multiples récréations de la journée :

Le pitchac, volant fabriqué avec des rondelles taillées dans une chambre à air de bicyclette, qui se prêtait à des jongleries -« jonglage » en langage potache- avec les pieds et toute autre partie du corps, sauf les mains, ou à des petits matchs.

Les cartelettes (figurines de footballeurs ou de vedettes de cinéma), empilées image cachée, qu’ il fallait retourner d’un coup sec, avec la main en ventouse, pour les gagner à un adversaire. Chaque cartelette avait une valeur, selon une cote obscure.

Le burro flaco -ou tchintcha la fava- , considéré comme violent par l’administration, n’était pas autorisé mais pratiqué quand même en douce.

Un autre jeu idiot, partagé plutôt le soir dans la pénombre, en groupe informel, consistait à courir derrière une balle de tennis pour être le premier à la shooter . La contrainte impliquait que celui qui arrivait avant les autres devenait la cible -chevilles et tibias- des poursuivants au moment où il allait donner le coup de pied. Il fallait faire très vite et être agile pour éviter de se retrouver avec de beaux bleus à la fin de la partie.

L’impunité des assaillants était la règle.

La fatigue, la lassitude, l’excitation apaisée des belligérants ou le holà ! d’un surveillant mettaient un terme à la partie.

Je me souviens que les récréations n’étaient pas vouées qu’aux seules parties de football ou de pitchac. Elles étaient mises aussi à profit pour réviser une leçon, terminer un devoir ou peaufiner quelque détail avant le cours suivant.

Je me souviens de Monsieur Smadja, le professeur de gymnastique, quand il venait nous racoler après l’étude ou en cours de récréation le jeudi matin, pour compléter une équipe de sport-co quelconque inscrite dans le championnat scolaire.

Parfois, pressé par l’urgence pour faire face aux forfaits des titulaires, il puisait dans nos rangs, sans tenir compte de notre niveau dans la discipline.

L’attrait d’une sortie nous motivait plus que la compétition.

Je me souviens d’un tournoi de volley-ball à Gambetta.

Notre équipe, exclusivement composée de potaches, sans illusion quant au résultat final, était allée de défaites en catastrophes. Mais l’après-midi était splendide, nous étions hors du lycée et il y avait même des équipes de lycéennes dans les parages. Le Bonheur !

MON PROF D’ALLEMAND

.

Il s’appelait Georges Nouven. Dans les années 50 il était une des célébrités du corps professoral du lycée Lamoricière, non pas pour sa renommée urbi et orbi, mais en raison de sa forte personnalité et de ses méthodes pédagogiques.

L’autre professeur d’allemand du lycée s’appelait Monsieur Clamadieu. J’ai dû être dans sa classe une année, mais je n’ai gardé aucun souvenir de lui.

Par contre, je n’ai pas oublié Monsieur Nouven. Après tant d’années les traits de son visage se sont estompés dans ma mémoire mais je garde une image précise de l’allure générale du bonhomme. Il était plutôt petit, trapu, et il claudiquait légèrement. Boudiné dans des costumes sans éclat, les cheveux collés sur sa tête de grognard, il avançait avec aplomb dans les galeries quand il rejoignait sa classe où il était le maître.

Monsieur Nouven n’était pas du genre à être chahuté, et je ne l’ai jamais vu donner une heure de colle.

Il maniait sa canne avec un grand plaisir, et il n’hésitait pas à la laisser tomber sur le crâne d’un élève, parfois pour une raison qu’il était le seul à connaître.

Je ne peux pas dire qu’il m’était sympathique. Ce n’est pas l’affection qui me fait parler de lui. J’étais un mauvais germaniste et j’étais germanophobe. Comme beaucoup de gens à cette époque, j’étais profondément marqué par l’histoire des confrontations entre la France et l’Allemagne. Nous avions autour de nous des gueules cassées et des infirmes de 14/18. Nous avions dans nos familles des parents qui avaient débarqué en Provence en 1944. Nous n’ignorions rien des atrocités commises par les nazis ; je les retrouvais parfois dans mes pires cauchemars.

Je n’avais pas choisi l’allemand en première langue.

Je reportais sur le professeur d’allemand la trouille et la haine que j’éprouvais pour le peuple allemand, sa culture et sa langue.

Monsieur Nouven était, pour moi, forcément dans leur camp, et il ne me faisait pas rire quand il chantonnait :

« Qu’il était beau, qu’il était beau mon p ’tit taureau .. » ou quand il faisait gondoler certains avec des jeux de mots de comique troupier, probablement tirés d’une lecture assidue de l’almanach Vermot (« l’homme et les gants/élégant ». « Si t’es content mieux ... »).

Monsieur Nouven avait dû me cataloguer très vite dans la catégorie des fumistes. Il n’y avait pas à cette époque des cellules de crise et autres groupes de parole pour permettre aux élèves et à leurs professeurs de dépasser les malentendus (bien que je ne me fasse aucune illusion sur la qualité des rapports entre les uns et les autres dans les lycées aujourd’hui). Monsieur Nouven avait une manière particulière de contrôler si nous savions nos leçons. Au début du cours, il nous interrogeait sur le dernier texte étudié. Il désignait les élèves dans l’ordre alphabétique et, le cours suivant, le premier élève sur la sellette était celui dont le nom venait immédiatement après celui du dernier interrogé le cours précédent. L’inconnue de ce système, c’est que nous ne savions pas, le jour-dit, combien d’élèves allaient être interrogés.

En général les élèves savaient leur leçon, surtout ceux qui étaient sûrs que leur tour allait venir. Mais celui qui était loin sur la liste et qui avait évalué que son tour ne viendrait pas cette fois-ci, et quand M. Nouven ayant fait durer le plaisir, avait passé en revue un nombre important d’élus, se retrouvait dans la ligne de mire et séchait piteusement, la sanction tombait, lourde : 20 , 30 fois ou plus à copier pour la fois suivante la leçon non sue. Il s’agissait en général de deux pages de notre livre que je n’ouvrais jamais qu’avec répugnance.

Ce travail forcé représentait un nombre important de feuilles de copie et un temps non moins considérable volé à la lecture de France-Football. Sans compter que nous n’aurions pas eu assez d’heures d’étude pour exécuter cette peine.

Mais Monsieur Nouven, quand il se faisait remettre les paquets de feuilles, ne contrôlait pas au-delà du premier feuillet, toujours correctement rempli. Il ne vérifiait jamais la totalité du pensum. Pour donner du corps au devoir, nous encartions dans une feuille de copie double des pages arrachées à de vieux cahiers jusqu’à fabriquer un matelas convaincant.

La véritable punition, nous la vivions au moment où Monsieur Nouven s’emparait des paquets de copie, et qu’il prenait un temps infini à tapoter la liasse sur le bureau avant de l’expédier dans la corbeille sans autre forme de procès, en chantonnant parfois :

« Qu’il était beau, qu’il était beau ...

Je regrette de ne pas avoir connu Monsieur Nouven autrement que depuis ma place d’élève timoré, pressé d’en finir avec un cours sans saveur et interminable.

Je me demandais parfois à l’époque quelle pouvait-être sa vie. Les ragots de potaches disaient que pendant ses études en Allemagne il s’était battu en duel, comme c’était la tradition, et qu’il en conservait des estafilades sur le visage, et bien d’autres choses encore, mais bien peu de choses en vérité !

J’imaginais une existence solitaire auprès de sa mère et de longues soirées tristounettes devant un bock, dans une brasserie du centre-ville. Les images de « l’Ange Bleu » viennent brouiller mes fantasmes : Marlène Dietrich ou la cuisine des « Tontons flingueurs » entre Robert Dalban et Lino Ventura, où se situait Georges Nouven ?

Je suis probablement loin de la réalité.

Monsieur Nouven était un excellent professeur. Je le dis parce que je le pense aujourd’hui. Je n’ai fait que passer à côté de lui.

Louis GONZALVEZ

SOUVENIRS D’AMÉDÉE MORÉNO

Le lycée de garçons d’Oran, ou Lycée Lamoricière, avait été édifié dans le quadrilatère formé par la rue El-Moungar, la rue Paixhans, la rue Lahitte à l’arrière, et la rue Georges-Bizet, inachevée. L’aile nord-ouest jouxtait le Petit Vichy et le début du chemin de l’usine à gaz.

Cette immense structure servait de toile de fond au Bd Galliéni qui ressemblait, en plus réduit, aux Champs- Elysées parisiens.

J’ai suivi les cours de ce lycée entre les années 1944 et 1947, jusqu’à ma dix-neuvième année, et cela est inoubliable. De nombreux visages surgissent de ma mémoire et s’assemblent comme sur une vieille photo d’un groupe scolaire.

Tout d’abord le censeur M. Casabianca, surnommé Barabbas par les élèves, à cause de sa barbe noire et de ses traits sévères, comme ceux du larron des Évangiles. C’était un homme sérieux, actif et équitable.

Et puis, les surveillants généraux, Durand et Valentine (alias Titine). Ce dernier, moustachette à la Hitler, chapeau mou, lunettes et éternel complet trois pièces avec nœud papillon, était soupçonné de porter une perruque. Mais comme il ne quittait jamais son galurin, aucun coup de vent ne nous confirma jamais la chose. Durand, par contre, était l’archétype du procureur sentencieux, toujours tête nue, les cheveux à plat en arrière et des lunettes fines, les traits secs et sévères. L’air grave, il nous impressionnait bien plus que Titine et nul ne souhaitait avoir affaire avec lui. Pourtant, bien qu’austère, il n’était pas méchant et les élèves le respectaient.

Un autre surveillant fit surface un matin, alors que des classes de filles venaient de s’ouvrir. Il s’agissait d’un certain Defer, un colosse aux formes de catcheur, à la face rubiconde, au cou de taureau, les cheveux clairsemés protégés par un chapeau mou gris crasseux, et nippé d’un complet du même ton. Il fut vite baptisé « Fil-de-fer », certains ayant prétendu qu’il se prénommait réellement Théophile ! Nous le craignions tous car, imbu de sa force physique, il n’entendait jamais composer ou temporiser avec les lycéens. Seuls comptaient les arrachements d’oreilles qu’il affectionnait, et les calbottes qu’il distribuait à tour de bras. On discutait après !

A ce tableau, il faut ajouter le concierge. Ah, celui-là, c’était une flèche ! Un Corse, la cinquantaine, petit, sec, le béret toujours vissé sur son crâne dégarni, drapé dans un cache-poussière gris qui lui servait d’uniforme, il ne quittait jamais des yeux la pendule de sa loge. C’était toujours lui qui déclenchait les sonneries de début et de fin des cours. A l’heure de la rentrée, il épinglait les retardataires, en jouant de son accent bastiais pour leur faire la morale. Les billets d’excuses, faux pour la plupart, étaient son tableau de chasse qu’il allait fièrement présenter au censeur, sitôt le dernier élève entré. Qui d’entre les anciens du lycée ne lui doit au moins une retenue ?

Enfin il y avait M. Lopez, cheveux grisonnants et petites lunettes. C’était l’appariteur chargé de passer dans chacune des classes, avec

Voir en ligne : https://alysgo-apollo.org/lycee-lam...